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D'une voix blanche

Roger Laporte

Journal-Exposition, D'un regard l'autre, ARALD, 1997

« Tu n’imagines pas la difficulté. Ni la peine,
la souffrance de qui écrit de la poésie. »
Mathieu Bénezet.

Un ouvrage de Patrick Laupin est précédé par cette épigraphe de Wittgenstein : « Il est tellement difficile de trouver le commencement. Ou mieux : il est difficile de commencer au commencement. Et de ne pas essayer d’aller plus loin en arrière ». Si je déclare « j’aime ce poème »je me réfère implicitement, sans justification, à l’essence de la poésie. Un retour amont est nécessaire : le philosophe – s’il s’appelle Hegel ou Heidegger – l’accomplit ou du moins essaie, car il faut aller toujours plus loin en arrière. Je ne m’engagerai pas dans cette voie sans issue parce que sans fin ; j’essaierai plus simplement de dire au lecteur, de me dire d’abord à moi-même, pourquoi je peux déclarer : « J’aime la poésie de Patrick Laupin ».

Pour comprendre, se faire comprendre, le mieux n’est-il pas d’établir un contraste entre ce que l’on rejette (ce qui nous rejette ?) et ce que l’on aime ? Par-dessus tout je déteste et, pour parler comme Bataille, je dirais même je hais la poésie, lorsqu’elle confond le beau avec le joli, le mièvre, le sentimental, le rythme avec « la chanson qui ne pleure que pour vous plaire ». Je n’aime pas la poésie où les mots, durs blocs opaques, constituent une barrière qui défie notre intelligence, notre amour : on ne sait même pas ce que l’on a lu ; on mentirait si l’on disait « j’ai aimé », on est renvoyé à sa solitude et, on le craint, à sa médiocrité. Je n’aime pas la poésie où les mots, miroirs de miroirs, renvoient seulement à d’autres mots et tentent de constituer un monde autonome ; bref, je n’aime pas la poésie qui oublie et la terre et le ciel et le cœur. J’aurais pu me contenter de dire : « j’aime Baudelaire, Y. Bonnefoy, Ph. Jacottet, J. Dupin ; je n’aime pas …, mais à quoi bon citer des noms ! S’inscrivant parmi ceux que j’aime : Patrick Laupin. Dans ses poésies, l’homme qui marche, la nuit, sans but déterminé ; la brume ; le givre ; « la rumeur tremblante des peupliers », appartiennent à un seul monde. Qualité précieuse entre toutes, P. Laupin n’élève jamais la voix, mais son timbre, sa musique plus que discrète, à la fois douce et très mélancolique, touche notre cœur (à condition qu’il soit à l’unisson). Les lignes que voici ne sont-
elles pas exemplaires ?
Mer nuageuse d’oubli
cœur désert de mélancolie,
Ebloui par tant de matins,
de lueurs vaines
Le poids d’un regret
L’attente de la pluie, en creux
soudain
Il faut ajouter : cette poésie est attente, supplication muette. Attente de quoi ? Comment un écrivain ne serait-il pas touché lorsqu’il découvre que l’objet du désir n’est autre que l’écriture, une écriture qui se confond avec le lever du jour !

Ecrire reviendrait à
rejoindre le jour
le jour (ce clair souffle
tremblant)
mot que ne recouvre pas
la durée.

Quelle chance d’avoir pour ami P. Laupin !
Si l’on aime sa poésie ; si l’on a le sentiment singulier que sa poésie nous aime ; si Patrick ressemble à sa poésie…